« Le foot est le miroir de la société »

Bilan footballistique du 1er tour 2024/2025, engouement dans le canton de Fribourg, violence sur les terrains, foot féminin, avenir, … Benoit Spicher, président de l’Association fribourgeoise de football a répondu à toutes nos questions au cours d’un long entretien sans langue de bois.

Mercredi soir, jour de Champions League. Benoit Spicher nous accueille dans les locaux de l’ASF à Fribourg à la fin de sa journée de travail et juste avant d’effectuer les quelques kilomètres qui le séparent du Stade de Suisse et le match YB – Etoile Rouge Belgrade. Le Giblousien, entré au comité de l’AFF en 2001 y entame sa onzième année à la présidence. L’occasion d’échanger durant une heure avec lui sur tous les défis passés et à venir du foot fribourgeois. Du foot des talus aux étoiles de la Ligue des Champions, Benoit Spicher est un véritable passionné qui œuvre sans compter pour le foot fribourgeois.

A quelques semaines de la reprise, quel bilan tirez vous du premier tour automnal du foot amateur fribourgeois ?

Footballistiquement parlant, le bilan est bon. A commencer par le haut de la pyramide avec le FC Bulle en Promotion League et le FC Portalban/Gletterens en 1ère ligue Classic. Ces deux équipes ont vécu un bel automne et il est important pour nous d’avoir des têtes de proue qui vivent bien dans leurs ligues, avec pourquoi pas l’ambition d’avoir encore quelque chose de mieux. Ces bons résultats récompensent également le travail qui est fait dans la formation, avec le Team AFF qui est un élément important de notre association.

En 2ème ligue inter, nous avons cinq équipes pour qui ça se passe relativement bien, mis à part le FC Châtel-St-Denis pour qui ce sera très compliqué, voire impossible de se sauver lors de ce 2ème tour.

En 2ème ligue deux équipes sont dominantes avec le FC Gumefens/Sorens et le FC Cugy/Montet/Aumont/Murist. La mauvaise nouvelle est venue il y a quelques semaines du côté du FC Givisiez qui nous a annoncé son retrait. Au vu du premier tour réalisé par l’équipe, c’était une demie-surprise. Les dirigeants du club ont souhaité mettre leur énergie dans leur deuxième équipe qui milite en 4ème ligue et dans le groupement juniors. C’est toujours embêtant pour un championnat lorsqu’une équipe se retire, qui plus est dans la ligue phare du canton, car cela implique notamment des annulations de matchs. La situation est dommageable mais, suite aux explications reçues, je peux comprendre la décision.

Et de la 3ème à la 5ème ligue les championnats se sont bien déroulés, avec une météo correcte qui a permis la tenue des matchs dans l’ensemble, à l’exception de quelques week-ends. Il en va de même pour les coupes dont le tirage au sort aura lieu bientôt.

Notre ciment est le foot des talus ! Et il faut souligner qu’il y a un excellent travail qui est effectué dans les clubs. Des statistiques ont été faites et au prorata du nombre de licenciés par habitants du canton, Fribourg se trouve dans le haut du panier. Le foot est vivant à Fribourg avec plus de 21’000 licenciés ! Notre canton est un canton de foot malgré le manque d’un club professionnel. Mais évidemment le sponsoring et l’aide financière sont très importants pour qu’un club puisse vivre tout en haut. Et à Fribourg avec Gottéron et ses 30 millions de francs de budget, il ne reste plus grand-chose pour les autres. Je le dis sans jalousie aucune, mais c’est un fait.

La volonté est-elle d’avoir un club professionnel dans le canton ?

Oui, ce serait l’idéal ! Mais en tant qu’association, nous n’avons pas beaucoup de leviers pour débloquer cela, si ce n’est d’accompagner, de faire en sorte que le travail se fasse à la base pour que des jeunes arrivent avec un bon potentiel.

Mais est-ce réalisable? Le FC Bulle fait bonne figure en Promotion League cette saison. Peut-on dès lors imaginer un jour avoir une équipe fribourgeoise à l’échelon supérieur, à savoir la Challenge League, voire mieux?

Il y a deux éléments à prendre en compte : le premier est évidemment le niveau sportif. Nous avons lancé il y a trois ans un pôle de formation où nous essayons de trouver des solutions essentiellement pour les jeunes qui terminent leur formation (fin de formation en M18 ici à Fribourg ou pour les jeunes partis à YB mais pour qui le chemin se complique en M19 ou M21). La question est de savoir comment nous pouvons les accompagner, avec le Team AFF et en collaboration avec les clubs de 2ème ligue inter et 1ère ligue, afin que ces joueurs jouent dans notre canton. Plusieurs choses ont été mises en place avec par exemple le Team AFF qui organise pour ces joueurs un entrainement supplémentaire par semaine.

Mais le deuxième élément est parfois plus problématique. Un club a besoin d’infrastructures pour grandir. Si on prend l’exemple du FC Bulle, la situation est complexe. Le club parle de 200-300 jeunes qui n’ont pas de place pour jouer au foot. A l’AFF nous pouvons accompagner, discuter avec les édiles communales, mais finalement la décision de la construction d’un terrain ou de places de sport leur appartient, pas à nous.

Lors d’une interview réalisée avec le co-président du FC Bulle Jorge Gomes il y a quelques semaines, ce dernier nous a également parlé d’une grand différence de niveau entre la Promotion League et la 1ère ligue classic. Est-ce à dire que le canton de Fribourg manque de talents?

Je ne partage pas complètement cet avis. Il y a à mon avis quelques joueurs qui pourraient passer par le FC Portalban/Gletterens pour progresser et ainsi trouver un chemin vers le FC Bulle. En discutant avec les clubs, on a remarqué par contre que les joueurs qui partent tôt à Young Boys et qui n’arrivent pas à y percer ne reviennent pas jouer dans notre canton. Ces jeunes avaient l’impression, en revenant sur Fribourg, de régresser car la qualité des entrainements ou encore le nombre d’activités proposées durant la semaine étaient moindre par rapport à ce qu’ils avaient connu à Young Boys. C’est une problématique sur laquelle nous nous sommes beaucoup interrogés. Et encore une fois notre bonne collaboration avec le Team AFF permet de trouver des solutions pour donner plus à ces jeunes.

Vous parlez de Young Boys. Quelle est la nature de votre collaboration avec le voisin bernois alors qu’il manque d’un club de haut niveau dans notre canton?

C’est essentiellement le Team AFF qui assure la collaboration avec YB. Et cette dernière se passe bien, avec une bonne dynamique. Entre les M16 et les M21 d’YB il doit y avoir entre 26 et 28 jeunes fribourgeois. C’est dire que le travail effectué est bon!

FC Bulle – Young Boys U21

Revenons sur le bilan de l’automne passé. Vous avez relevé tout le positif, mais le premier tour a été terni par quelques faits de violence dont il faut également faire mention?

Le football étant à l’image de la société, il arrive parfois que des êtres humains partent dans des directions que l’on n’aimerait pas suivre. Il y a effectivement eu quelques incidents cet automne, dont un particulièrement important avec une bagarre générale lors d’un match de juniors A entre le Team Fribourg Ville et Kerzers. Nous avons eu autour de cet incident beaucoup de discussions afin de trouver le juste milieu entre les sanctions et la prévention. Nous avons d’ailleurs travaillé sur un concept qui arrivera ce printemps avec une semaine de prévention/fair-play axée sur le racisme et la discrimination. Nous allons notamment proposer aux entraîneurs des outils à mettre en place avec leurs équipes. Suite à l’incident évoqué, nous avons collaboré avec Reper, qui est une association de prévention dans le canton de Fribourg. Leurs professionnels ont rencontré ces deux équipes afin de discuter autour de cette thématique et de créer des bâches qui seront distribuées à chaque club. Sur ces bâches, des phrases ont été créées par les joueurs des deux équipes ayant participé à cette bagarre générale. La démarche me semble intéressante.

Le terrain est une chose, avec tous les acteurs d’un match, mais comment gérer l’entourage qui peut parfois être problématique avec des débordements au niveau des spectateurs?

Encore une fois le foot est le miroir de la société. Mais il faut remettre les choses à niveau : si on enlève le foot des enfants, nous avons entre 350-400 matchs par week-end. Un match a totalement dégénéré cet automne, et deux autres ont été arrêtés. C’est bien évidemment toujours un de trop, mais ce n’est pas chaque match de foot qui finit mal. Il est important parfois de le rappeler. Comme dans une cour d’école, le terrain de foot vit et chacun.e doit y trouver sa place!

Nous voyons de plus en plus de caméras au bord des terrains où la vidéo est devenue omniprésente, même dans le foot amateur. Est-ce un élément qui peut vous aider lorsqu’il y a des débordements?

Nous sommes dans une zone grise avec l’utilisation d’images vidéo et nous travaillons en collaboration avec des juristes et l’ASF. Lorsque des incidents se déroulent, notre commission de discipline va se baser sur le rapport de l’arbitre, qui est la source première, pour poser d’éventuelles sanctions. Mais dans le cas du match qui a dégénéré, l’arbitre n’a rien vu puisque tout a commencé dans son dos. Au moment où il se retourne, la situation est déjà hors de contrôle. Comme le match était filmé, notre commission de discipline a pu utiliser la vidéo et, suite à de longues heures d’analyse, a identifié les joueurs coupables et mis des sanctions adéquates. Sans cette vidéo, j’imagine que l’équipe fautive aurait été purement et simplement retirée du championnat. Ici seuls les joueurs au comportement répréhensible ont été sanctionnés. Les autres ont pu continuer à jouer au foot.

Une des particularité du canton de Fribourg est son bilinguisme. Lorsque vous parlez de discrimination, est-ce un problème de devoir composer avec ces deux cultures?

Non. En tant qu’association nous devons simplement faire très attention de tenir compte des deux parties (alémanique et francophone) du canton. Les clubs de la partie alémanique, qui est minoritaire, auraient plutôt envie de rester entre eux. Nous menons toujours des discussions, et il est parfois compliqué de constituer les groupes dans chaque ligue. Nous essayons toutefois de prendre en compte ces paramètres et de manière générale cela se passe plutôt bien.

En tant que média présent dans de nombreux cantons romands, nous constatons un bel engouement autour des terrains de foot fribourgeois, peut-être plus que n’importe où ailleurs. Comment l’expliquer ?

Encore une fois, Fribourg est un canton de foot ! Et nous avons une particularité qui réside dans la culture des finales de promotion. C’est quelque chose qui est hyper fort ! Une promotion se décide ainsi sur deux semaines et cinq matchs, que votre équipe ait terminé première de son groupe ou non. On peut d’ailleurs se poser la question si cela a du sens de faire tout un championnat en tête pour avoir le risque de ne pas monter, mais un sondage auprès des clubs nous a montré que cette formule était largement soutenue par 86% d’entre eux. D’ailleurs nos voisins vaudois ont repris cette formule sur demande de leurs clubs car ils ont vu que cela fonctionnait chez nous. Cela amène un engouement extraordinaire avec beaucoup de monde aux bords des terrains, tout comme les matchs de coupe fribourgeoise. Le foot est un excellent vecteur de rencontres, et il est vrai qu’à Fribourg les gens aiment se rencontrer autour des terrains.

Match des finales de promotion 2023-2024, Estavayer-le-Lac

En parlant d’engouement, dans quelques mois va démarrer l’Euro de foot féminin en Suisse : que va apporter, selon vous, cet évènement au foot féminin amateur, et comment capitaliser là-dessus?

Le foot féminin sur Fribourg vit déjà depuis de nombreuses années et s’est pas mal développé avec toutefois des hauts et des bas. Aujourd’hui le foot féminin en général est plus reconnu que ce soit en Suisse, mais plus généralement en Europe. Pour cet été, l’ASF a donné une bonne dynamique aux régions afin de faire vivre l’Euro 2025. Le but est bien sûr de le vivre, mais aussi et surtout d’avoir un héritage ! Vous avez raison, la question est de savoir comment en profiter pour ouvrir le foot aux filles et aux femmes. À l’AFF nous essayons de faire venir de jeunes joueuses en mettant en place des tournois, en proposant des activités aux clubs, etc. Les clubs sont réceptifs et ont également la volonté d’intégrer le foot féminin. Mais évidemment plus nous avons de joueuses, plus nous avons besoin d’infrastructures ou de personnel. Nous revenons toujours à cette problématique. En tant qu’association nous pouvons avoir de l’influence sur le nombre d’entraîneur.e.s ou d’arbitres, mais plus difficilement sur les infrastructures. Nous souhaitons donc montrer le chemin à prendre pour devenir entraîneure ou arbitre, où nous avons de gros manques.

Nous souhaitons également mettre en place ce printemps un tournoi réservé aux plus de 28 ans. En attirant d’anciennes joueuses ayant déjà un vécu, nous avons plus de chances qu’elles prennent des responsabilités dans les clubs. En tout cas nous souhaitons leur montrer que le foot leur est ouvert ! Il n’y a que comme ça que nous allons leur donner envie. Et mon avis personnel est que le développement du foot féminin sera un gros plus pour le foot en général.

FC Ueberstorf – FC Vuadens

Parlons d’avenir pour terminer: quels sont les attentes et les enjeux pour l’AFF dès ce printemps et à court/moyen terme?

L’enjeu est de trouver LA solution pour que chaque personne qui ait envie de jouer au foot puisse le faire puisqu’on estime que le nombre de licencié.e.s va augmenter. Et ce sera à nous d’encadrer ces gens. Voilà notre gros défi à court et moyen terme: avoir plus d’entraîneur.e.s et plus d’arbitres.

Un autre élément est comment bien accompagner les clubs. A nous d’être en contact avec eux, de leur donner des pistes pour répondre à leurs questionnements, leurs complications. Mais il y a là un défi financier car nous devons avoir du personnel à l’association pour répondre à cela.

Pour terminer je dirais que la mission principale de notre association est d’être un bon moteur pour nos clubs. Pour moi c’est une des priorité ! On essaie de le faire avec nos moyens et nos forces, et tout notre comité souhaite aller dans cette direction. Imaginez 21’000 licencié.e.s! C’est un grand défi pour les clubs de gérer tout ce monde, de les accompagner. Nous souhaitons donc aider nos entraîneur.e.s qui font ça de manière quasi bénévole à côté de leur métier, dans la gestion non seulement footballistique, mais également dans la gestion humaine, de groupes. Nous devons être proactifs à ce niveau là!

Interview réalisée par Suat Jashari et Séb Mory

Rédacteur & photographe: Séb Mory

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